[FR] La grande peur des Serbes de Bosnie - Entretien avec Milorad DODIK
Entretien avec Milorad DODIK, Président de la Republika Srpska (République serbe de Bosnie-Herzégovine) depuis 2010. conduit par Alexis TROUDE
Alexis Troude - Monsieur le Président, les accords de Dayton ont été signés il y a vingt ans. Certains estiment qu'il est temps de repenser la structure de l'État de Bosnie-Herzégovine. Que leur répondez-vous ?
Milorad Dodik - Je vais être très clair : la Republika Srpska est opposée à toute remise en cause de Dayton. Malheureusement, certains responsables bosniaques musulmans prétendent que ces accords ne visaient qu'à arrêter la guerre et qu'ils doivent à présent être révisés. De tels propos sont inacceptables. Ils ne peuvent provoquer qu'une seule chose : la radicalisation des rapports inter-ethniques en Bosnie-Herzégovine. A. T. - Pensez-vous que les Bosniaques musulmans souhaitent la disparition de la Republika Srpska ? M. D. - Pas exactement. Leur ambition est plus perfide : ils veulent étouffer la Republika Srpska en supprimant la plupart de nos prérogatives. Depuis Dayton, le pouvoir réel appartient aux deux entités : la nôtre d'un côté, la Fédération croato-musulmane de l'autre. Les Bosniaques musulmans proposent de transférer l'essentiel du pouvoir réel à l'appareil d'État central de la Bosnie-Herzégovine. Cela signifierait la disparition des entités, la centralisation des pouvoirs et la domination de la majorité sur la minorité. Dans un tel État, il n'y aurait plus qu'un seul peuple, une seule identité nationale et religieuse, une seule langue. Et quand on sait que les Bosniaques musulmans sont nettement plus nombreux que nous, on comprend vite à quoi ressemblerait ce tableau ! Ce n'est pas un hasard si les partisans d'un tel processus - qui, je le répète, équivaudrait à la disparition des accords de Dayton et à la fin de la Constitution de Bosnie-Herzégovine - sont le plus souvent issus du milieu religieux et politique de Sarajevo. Ces idées sont vieilles de plus d'un siècle et n'ont rien de nouveau. Nous nous opposerons toujours à cette dérive. Toutes les mesures à prendre dans la perspective d'un règlement constitutionnel devront l'être dans le cadre légal, avec l'accord plein et entier des trois peuples et des deux entités, et à la majorité des deux tiers au Parlement. A. T. - Depuis trois ans, vous souhaitez que les Serbes de Bosnie organisent un référendum d'autodétermination. Voilà qui semble paradoxal alors que, dans le même temps, vous dites vouloir préserver la Bosnie-Herzégovine telle que l'ont conçue les accords de Dayton... M. D. - Le référendum est un processus politique légitime et notre droit à en organiser est inaliénable. Notre demande de référendum est une réaction logique aux menaces, voilées ou ouvertes, qui pèsent sur la Republika Srpska. En effet, nous voulons un référendum parce que le haut représentant de l'ONU ne respecte pas les droits de l'homme en arrêtant sans jugement nos élus, mais aussi parce que nous désirons remettre en cause les pouvoirs de la Cour constitutionnelle de Bosnie-Herzégovine, laquelle mêle politique et justice (6). Notre route va vers l'UE et nous, Serbes de Bosnie, sommes les plus ardents défenseurs des accords de Dayton. Mais devant les pressions de plus en plus fortes exercées contre nous, nous désirons sauver l'existence d'une entité serbe en Bosnie-Herzégovine. A. T. - En Occident, les Serbes pâtissent d'une image d'« occupants » de la Bosnie et de « peuple guerrier ». Comment améliorer cette image ? M. D. - Les Serbes sont fiers de leur histoire. Notre combat a toujours été légitime et justifié : nous avons toujours été du bon côté de l'Histoire, celui du monde libre. Par exemple, les Serbes ont été victimes de génocide lors de la Seconde Guerre mondiale (7). Pour la Republika Srpska comme pour de nombreuses institutions internationales, la guerre de 1992-1995 était une guerre civile. Mais cet état de fait n'a jamais été accepté par le camp bosniaque, qui prétend que la guerre a été provoquée par une agression de la Serbie, parfois même de la Croatie, contre la Bosnie-Herzégovine. Cette interprétation de la partie bosniaque a été forgée au tout début de la guerre : elle a permis aux Bosniaques de se poser comme la principale, sinon la seule victime du conflit. Ils s'appuient perpétuellement sur cette invention politique, notamment dans leurs tentatives visant à faire de la Bosnie-Herzégovine un État unitaire. Dans cette guerre de propagande qui a été au coeur de leur action dès le début, ils ont réussi à présenter les Serbes comme les agresseurs et les musulmans comme leurs victimes. A. T. - Quelle est votre opinion personnelle sur le Tribunal pénal international pour l'ex-Yougoslavie (TPIY) ? M. D. - Je veux d'abord dire que l'armée de la République serbe de Bosnie a mené une guerre juste et honnête, autant que faire se peut ; il faut comprendre que la guerre nous a été imposée. Quant au TPIY, il n'a pas montré une efficacité à toute épreuve, tant la partialité de ses décisions a été évidente. Le TPIY a depuis longtemps perdu toute crédibilité et n'est plus une institution objective du droit international ; il n'est que l'instrument de ses donneurs d'ordre. Je pense qu'une révision radicale des jugements qu'il a rendus jusqu'ici s'impose, étant donné la politique discriminatoire qu'il mène : il n'a toujours pas émis d'acte d'accusation contre les principaux responsables de crimes contre l'humanité (8). Le temps est venu de faire apparaître la vérité en menant des enquêtes sérieuses concernant tous les épisodes des guerres sur le territoire de l'ex-Yougoslavie - je pense, notamment, à des faits qui se dont déroulés à Sarajevo comme l'attaque en 1992 contre une colonne de l'Armée populaire yougoslave dans la rue Dobrovoljacka, l'attentat organisé dans la rue Vase Miskina également en 1992 ou les obus tirés en 1994 et 1995 sur le marché de Markale (9). A. T. - La Bosnie-Herzégovine a été durement touchée en 2014 à la fois par de graves inondations et par une profonde crise économique et sociale. En même temps, la République serbe de Bosnie connaît de bons indicateurs macro-économiques (10). Comment voyez-vous l'avenir économique de votre pays ? M. D. - Les inondations du mois de mai 2014, qui ont si tragiquement affecté une grande partie de notre population, sont maintenant derrière nous. Mais cette épreuve nous a fait perdre l'équivalent d'un budget annuel et ses dommages se feront ressentir encore longtemps. Toutefois, le gouvernement de la Republika Srpska est l'un des seuls de la région à avoir fourni une aide directe aux victimes des inondations. Nous avons établi des programmes spécifiques pour l'assainissement des terres agricoles, pour l'aide aux entreprises ainsi que pour la reconstruction des établissements publics et des infrastructures les plus touchés. L'intérêt vital de la Republika Srpska réside dans son développement économique et social, ainsi que dans la mise en valeur des ressources naturelles, techniques et humaines dont nous disposons. La Republika Srpska est un vaste chantier, à l'activité débordante. Ces neuf dernières années, le gouvernement a réussi à élever le niveau de vie de ses concitoyens. Nous avons augmenté les retraites et les pensions des anciens combattants, amélioré la protection et l'éducation des enfants et adolescents, offert de meilleures perspectives d'emploi aux jeunes et aux diplômés. Nous avons, aussi, développé la protection sociale. Nous avons encore plusieurs grands dossiers devant nous : la création de zones franches, le développement de l'industrie pétrolière, le soutien à la production agricole et aux secteurs gazier et hydroélectrique, la construction d'un réseau d'autoroutes et de routes nationales, l'aboutissement de nos deux campus universitaires, la construction et la rénovation de centaines d'écoles primaires et de lycées, ainsi que la reconstruction des maisons détruites par les guerres et les inondations. La tâche est énorme et prendra beaucoup de temps. A. T. - Aujourd'hui, quelle est votre position vis-à-vis de l'intégration européenne d'un côté et du rapprochement avec la Russie de l'autre ? M. D. - Les citoyens ordinaires ne rêvent pas de l'Europe. Si nous continuons à nous rapprocher d'elle, nous n'aurons plus de production nationale et ne serons qu'un marché ouvert à ses produits (11) ! Notre partenariat avec la grande Russie n'en prend que plus d'importance. Nous entretenons de bons rapports politiques et économiques avec la Russie, qui n'a jamais imposé de conditions politiques à nos échanges économiques. En outre, la Russie est un partenaire fiable sur les plans politique et économique. Elle a constamment montré un profond respect envers les accords de Dayton. La meilleure preuve de l'extrême correction de la Russie à notre égard réside dans le fait qu'au sein du Conseil de sécurité de l'ONU l'ambassadeur de Russie défend les positions de la Republika Srpska - des positions que le haut représentant de l'ONU en Bosnie-Herzégovine lui-même ne veut pas entendre ! A. T. - Pouvez-vous préciser ? M. D. - Je vous donne un exemple : la Russie a voté contre la résolution sur Srebrenica présentée par le Royaume-Uni, démontrant ainsi qu'elle refuse d'envenimer la situation en Bosnie-Herzégovine. Elle ne veut pas accroître les divisions au sein de ce pays. Ce faisant, elle prévient la déstabilisation de la région (12). A. T. - Pouvez-vous clarifier votre position vis-à-vis de l'intégration européenne ? M. D. - La Republika Srpska a montré, par son orientation pro-européenne et la signature de l'annexe 10 des accords de Dayton (13), et par sa démarche constructive vis-à-vis des réformes, une envie sincère de faire progresser le processus d'adhésion induit par l'Accord de stabilité et d'association que Bruxelles et Sarajevo ont signé en 2008 (14). Nous acceptons de remplir les critères de l'UE car nous appartenons à la famille européenne. Mais nous désirons intégrer l'UE en tant que partenaire et non comme un État soumis. C'est pourquoi la Republika Srpska a soutenu, et continuera de soutenir, le processus d'intégration de la Bosnie-Herzégovine... Mais, auparavant, sa position légitime en tant que partie constitutive de la Bosnie-Herzégovine doit être renforcée, ce qui passe par le respect à la lettre des accords de Dayton. A. T. - Le 15 janvier 2015, Vladimir Poutine a annoncé que le gazoduc South Stream ne passera plus par les Balkans et qu'il sera remplacé par le Turkish Stream. Quelles conséquences ce développement aura-t-il pour votre politique énergétique ? M. D. - La Russie a déclaré qu'elle ne pourra pas développer le gazoduc South Stream puisque l'Europe n'en veut pas. On nous empêche de bénéficier des avantages que nous aurait apportés South Stream : nous sommes donc contraints d'assurer notre avenir énergétique autrement, en nous tournant plus fortement encore vers la Russie. Je rappelle que le secteur énergétique en Republika Srpska représente un potentiel énorme pour les investisseurs, grâce à nos ressources dans les secteurs minier et hydraulique. Savez-vous que 70 % des capacités hydroélectriques de la RS ne sont pas utilisées ? Nous avons inauguré, en 2015, la centrale hydroélectrique Mesici-Nova qui fournit désormais de l'électricité à tout le territoire. Sur la Drina, à l'est de la Republika Srpska, nous allons réaliser plusieurs ouvrages hydrauliques ; et sur la Bosna, au centre du pays, une mini-centrale hydraulique et, à terme, une centrale thermique. A. T. - On a beaucoup parlé, en Occident, de l'opération « Damas » (15). Quelle vision avez-vous de l'expansion du djihadisme en Bosnie-Herzégovine ? M. D. - Le fondamentalisme islamique n'est pas une chose inconnue en Bosnie-Herzégovine. Il y est apparu durant la guerre de 1992-1995. Ces dernières années, nous avons subi plusieurs attaques terroristes : des centres commerciaux, des commissariats de police et même l'ambassade américaine à Sarajevo ont été pris pour cibles. Par ailleurs, de nombreux individus originaires de Bosnie-Herzégovine sont allés se battre pour l'État islamique. Malheureusement, le terrorisme bénéficie sans aucun doute de protecteurs puissants en Bosnie-Herzégovine...
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Notes :
(1) Le haut représentant nommé par l'ONU dispose de pouvoirs spéciaux dits « pouvoirs de Bonn ». Il a le pouvoir discrétionnaire de revenir sur des lois votées, de démettre des hauts fonctionnaires et de dissoudre des institutions. Les premiers hauts représentants en avaient profité pour imposer des « décisions contraignantes » marquant la vie quotidienne : drapeau et hymne unitaires, immatriculation commune des véhicules, monnaie pour tous (la konvertibilna marka, indexée sur l'euro). Les autorités serbes de Bosnie estiment être les victimes d'une véritable censure administrative : entre 1998 et 2005, plus de 139 dirigeants (ministres, maires, juges) ont été révoqués par les différents hauts représentants, avec dans certains cas l'interdiction d'occuper une fonction à vie. Le 30 juin 2004, le haut représentant de l'ONU Paddy Ashdown écarte 59 responsables officiels et leur interdit, pour une durée indéterminée, de se porter candidats à des élections ou d'être nommés à une quelconque fonction dans l'administration de la Republika Srpska. Au cours de son mandat (2002-2006), Paddy Ashdown a imposé pas moins de 67 lois, dont certaines ont modifié jusqu'aux Constitutions des deux entités fédérées. (2) Le 17 décembre 2015, le député croate au Parlement européen Jovo Komsic a déclaré, lors des débats sur les réformes constitutionnelles en Bosnie-Herzégovine, premier pas nécessaire selon l'UE avant d'accorder éventuellement le statut de pays candidat à l'adhésion à la Bosnie : « La Bosnie-Herzégovine doit se construire sur des bases fédérales et poursuivre sa décentralisation. » (3) Le Turkish Stream est un gazoduc reliant la Russie à l'Europe, soutenu par Vladimir Poutine depuis l'abandon du projet South Stream en novembre 2014. Il partirait des réserves de gaz en mer Caspienne, traverserait ensuite la Turquie puis les Balkans occidentaux, pour aboutir à l'Autriche. Mais le récent conflit diplomatique entre Moscou et Ankara à propos de l'avion russe abattu en Syrie par la Turquie a mis ce projet entre parenthèses. Pour la Commission européenne, le gazoduc Anneau oriental représente un tracé concurrent, passant en Europe centrale, au gazoduc Nord Stream déjà existant entre Russie et Allemagne. (4) En 2014, plusieurs attaques djihadistes se sont produites à Novi Grad, une bourgade au nord de la Bosnie, notamment contre la gendarmerie locale. (5) L'État islamique dispose d'un camp d'entraînement à Osve, près de Maglaj en Bosnie-Herzégovine ; en 2015, au moins douze djihadistes seraient partis pour la Syrie après avoir été formés dans ce camp situé dans un village d'à peine 250 habitants. (6) Les autorités de la République serbe de Bosnie-Herzégovine critiquent depuis plusieurs mois le comportement « partial et politique » des juges de la Cour constitutionnelle de Bosnie-Herzégovine. Ils estiment que celle-ci a systématiquement prononcé des peines plus longues à l'encontre des Serbes de Bosnie qu'elle a jugés qu'à l'encontre des musulmans bosniaques. Elle serait, selon la Republika Srpska, seule productrice de ses lois et porterait des jugements rétroactifs ; créée en 2001, elle a pris pour habitude de statuer sur des faits antérieurs, notamment la période de la guerre civile bosniaque de 1991-1995. Enfin, il faut remarquer que la majorité des juges qui y siègent sont de nationalité étrangère, ce qui constitue un déni de souveraineté. Entretien avec Mario Djuragic, chef de la représentation de Republika Srpska à Bruxelles, 17 décembre 2015. (7) Dans l'État clérico-fasciste dirigé par le Croate Ante Pavelic, les massacres commis par les milices oustachies (mouvement fasciste croate) à l'encontre des civils serbes commencèrent dès le mois d'avril 1941 - en une journée, à Blagaj, 250 paysans furent exécutés - pour atteindre leur apogée en juillet 1941 quand à Grahovac, dans la Krajina croate, 1 200 hommes, femmes et enfants furent massacrés en deux jours. Les Allemands, qui considéraient les serbes comme des « sous-hommes », ont eux aussi commis de nombreuses atrocités dans la Serbie occupée. En octobre 1941 à Kragujevac, suite à l'assassinat de 35 soldats allemands par la résistance serbe, plus de 41 000 civils étaient exécutés et jetés dans des fosses, leurs corps étant ensuite détruits à la chaux vive. Les Serbes n'ont jamais pu demander réparation aux Allemands car la Yougoslavie titiste, au nom du concept de « fraternité et unité », englobait toutes les victimes du nazisme dans le même ensemble, quelle que soit leur nationalité. Il y a donc eu ce qu'Ernst Gellner appelle un « gel de la mémoire ». Lorsque à la fin des années 1980 les personnes âgées commencent à évoquer les massacres de la Seconde Guerre mondiale et à désigner leur localisation tenue secrète pendant plus de quarante ans, c'est avec une très grande émotion que, devant les écrans de la télévision nationale, les fosses communes creusées par les oustachis ou les communistes sont ouvertes et les squelettes de milliers de victimes serbes en sont extraits. L'Allemagne officielle a toujours voulu montrer son soutien aux victimes. C'est pourquoi Berlin est le premier partenaire économique et culturel de la Serbie ; à Kragujevac, l'Allemagne veut panser les plaies du passé et distribue notamment des livres et du matériel scolaire. (8) Depuis 1997, 52 inculpations ont été retenues par le TPIY, dont 45 contre des Serbes et 7 contre des Croates ; en 2001, 34 militaires ou hommes politiques serbes avaient été arrêtés en Bosnie-Herzégovine et emprisonnés à La Haye. Certains d'entre eux sont, depuis, décédés à La Haye. Milorad Dodik veut donc ici évoquer la partialité du TPIY qui, face à ce nombre considérable de dirigeants militaires ou politiques serbes de Bosnie, semble oublier les autres parties prenantes de la guerre civile des années 1992-1995. Ainsi Naser Oric, ancien commandant des forces bosno-musulmanes de Srebrenica, avait été jugé par le TPIY pour crimes de guerre commis à la Noël 1993 dans les villages serbes autour de Srebrenica ; mais il a été acquitté en juillet 2007, au grand dam des Serbes de Bosnie qui y voient la manifestation d'une justice partiale inféodée aux États-Unis. Mais son cas n'est toujours pas réglé et pourrait raviver les souvenirs des années 1990. Naser Oric a été arrêté et inculpé de nouveau en juin 2015 par un tribunal suisse, pour des crimes de guerre qu'il aurait commis dans les environs de Sarajevo en juillet 1992 ; son procès est en attente... provoquant cette fois l'ire d'une partie de l'opinion musulmane de Bosnie ! (9) Milorad Dodik réclame une enquête internationale indépendante car la lumière n'a jamais été faite sur certains événements survenus au début du conflit bosniaque. Les massacres de Markale sont deux massacres de civils commis soit par l'armée de la Republika Srpska (Serbes), soit par l'armée de la République de Bosnie-Herzégovine (Musulmans), lors du siège de Sarajevo, sur le marché de la place de Markale. La première attaque, le 5 février 1994, fit 68 morts et 144 blessés ; la seconde, le 28 août 1995, fit 37 morts et 90 blessés. Dans les deux cas, la provenance des tirs fut controversée. Les forces serbes assiégeant la ville ont affirmé ne pas être à l'origine de ces tirs, accusant au contraire l'armée de la République de Bosnie-Herzégovine de bombarder son propre peuple pour pousser l'Otan à intervenir. Lors de la première attaque, les rapports d'experts ne permirent pas de déterminer avec certitude la provenance des tirs de mortier. En revanche, l'attaque d'un quartier central de Sarajevo servira de prétexte à l'Otan pour mener les premières opérations militaires hors zone de son histoire : en bombardant les lignes de l'armée de la Republika Srpska à l'été 1995, l'Otan prend fait et cause pour les Musulmans bosniaques dirigés par Alija Izetbegovic. (10) Le PIB de la Bosnie-Herzégovine a augmenté à un rythme inégal ces dernières années avant de s'établir à 2,1 % en 2013 (contre -1,2 % en 2012), avec une prévision de 3,5 % en 2015. La corruption, ainsi qu'un taux de chômage très élevé (43,6 % en 2013), sont des obstacles majeurs au développement économique. Handicapé depuis octobre 2010 par des blocages d'ordre politique, le pays stagne, même si sa production est repartie à la hausse et si une légère croissance est de retour depuis 2014. Dans ce contexte, la Republika Srpska tire son épingle du jeu grâce à une production industrielle en hausse continue depuis 2008 et à un secteur agricole dynamique. Malgré un taux de chômage de plus de 35 %, l'économie de la Republika Srpska est dopée par des investissements étrangers, surtout autrichiens, italiens et russes, présents notamment dans les infrastructures (le russe Lukoil pour les oléoducs et l'Autrichien OMV pour l'autoroute Gradiska-Banja Luka). Le 21 décembre 2015 était signé avec la Chine un accord pour la construction de l'autoroute sur l'axe Banja Luka-Prijedor, qui permettra de connecter la capitale des Serbes de Bosnie avec les réseaux européens en Croatie. (11) Milorad Dodik évoque ici ce que certains appellent déjà la « guerre du lait ». Les producteurs laitiers serbes de Bosnie ont, durant tout le mois de juillet 2015, bloqué les importations de lait en provenance de l'UE, car ils estimaient qu'il s'agissait de concurrence déloyale. En effet, les groupes laitiers italiens ou autrichiens voient dans l'espace ex-yougoslave un marché de plus de 20 millions de consommateurs ; le tissu des petits producteurs laitiers locaux aura du mal à faire face. (12) L'adoption d'un projet de résolution portant sur le massacre de Srebrenica, présenté par le Royaume-Uni lors de la session du Conseil de sécurité des Nations unies du 8 juillet 2015, fut finalement avortée suite au veto de la Fédération de Russie. Dès l'annonce de sa préparation par les officiels britanniques, ce projet de résolution, qui visait officiellement à commémorer le « génocide » de Srebrenica ainsi que les victimes des guerres yougoslaves, et qui était soutenu par les États-Unis, la France, l'Allemagne et les Pays-Bas, suscita l'opposition de la Republika Srpska, de la Serbie et de la Russie. Deux raisons principales expliquaient ces réticences et jetaient un doute sur les réelles intentions de la partie britannique : l'emploi du terme « génocide » pour qualifier le massacre de Srebrenica et l'absence de mention explicite des victimes serbes ayant péri durant les mois précédant cet événement. La délégation russe auprès du Conseil de sécurité de l'ONU décida de présenter un contre-projet de résolution plus équilibré, commémorant toutes les victimes des guerres yougoslaves, sans distinction de nationalité, ce qui n'empêcha pas la délégation britannique de maintenir son propre texte. Au final, seul le projet du Royaume-Uni fut soumis au vote et fut rejeté suite au veto russe. Lire : Chilpéric Laventure, « Le massacre de Srebrenica », 27 juillet 2015, www.arretsurinfo.ch (13) D'après l'annexe 10 des accords de Dayton, la République Serbe de Bosnie a créé, avec les autres négociateurs, la fonction de haut représentant auprès de la Bosnie-Herzégovine, nommé par le Conseil de sécurité de l'ONU. Mais depuis 1995, les divers hauts représentants se sont déclarés dépositaires du pouvoir, ce qui ne peut en aucun cas être justifié, même pas par l'interprétation la plus libre de cette annexe 10. Ils ont promulgué des lois, modifié la Constitution et puni un certain nombre d'individus par un décret unilatéral contraire aux accords de Dayton, à la Constitution de la Bosnie-Herzégovine et aux autres traités internationaux. Les hauts représentants ont également bloqué toutes les formes de contrôle judiciaire de leurs actions. C'est pourquoi l'Assemblée nationale de la République Serbe de Bosnie a appelé, en 2015, ses citoyens à un référendum prévu en 2016 et destiné à les consulter sur les actes du haut représentant. Mais l'UE et les États-Unis s'opposent à la tenue d'un tel référendum. Interview de Mario Djugaric, chef de la représentation de Republika Srpska à Bruxelles, par Daniel Salvatore Schiffer, http://www.agoravox.fr/actualites/international/article/les-20-ans-des-accords-de-paix-de-175410 (14) La Bosnie-Herzégovine a signé un Accord de stabilisation et d'association avec l'UE en juin 2008, mais les négociations portant sur les frontières et l'unification économique sont en suspens depuis, en cette période d'impasse institutionnelle. Le gouvernement central, en proie aux divisons internes sur la question, n'a pas réussi à poser sa candidature officielle à l'UE. (15) L'opération « Damas » est une action anti-terroriste organisée à l'échelle de tout le territoire de la Bosnie-Herzégovine à l'instigation de la SIPA (Agence pour les poursuites et la protection de la Bosnie-Herzégovine) contre les membres bosniaques de l'État islamique. En novembre 2014, la SIPA intervenait dans plusieurs localités musulmanes de Bosnie centrale (Sarajevo, Zenice, Kakanj, Maglaj et Zivinica) pour arrêter 9 Bosniaques musulmans coupables de liens avec l'État islamique, sur ordre de la cour d'assises de Bosnie-Herzégovine. Selon la SIPA, ces individus feraient partie d'un réseau « en lien avec le financement et l'organisation de citoyens de Bosnie-Herzégovine en vue d'aller combattre en Syrie et en Irak », et se seraient rendus coupables de « participation à des actions armées dans ces pays du côté de groupes terroristes islamistes radicaux ». La Bosnie-Herzégovine est le pays en Europe qui, proportionnellement à sa population, a fourni le plus de combattants à l'État islamique en Syrie. « Opération Damas : les poursuites contre l'extrémisme islamique se poursuivent en Bosnie », Blic, 14 novembre 2014. http://www.blic.rs/vesti/svet/operacija-damask-nastavlja-se-istraga-islamskog-ekstremizma-u-bosni/56glvfq